dimanche 13 mars 2011

Mon voisin, cet inconnu

C'était un petit homme discret. Je le croisais souvent.

Il portait toujours des bottines à talonnettes histoire de gagner un centimètre ou deux. Sa garde-robe n'avait pas été rafraîchie depuis les années 80 mais il avait à cœur d'être bien mis de sa personne. Son regard semblait souligné d'un trait de khôl, ses cheveux étaient impeccables; certainement teints mais avec discrétion. Je ne saurai dire son âge. Disons entre 70 et 80.

Jamais en quatre ans je ne l'ai vu accompagné. Jamais en quatre ans quiconque n'est venu frappé à sa porte. Il était seul, désespérément seul.

Chaque jour il prenait sa voiture pour aller faire un tour ou prendre ses repas à l'extérieur. Je n'ai pas le souvenir de l'avoir croisé avec un sac de courses.

A travers sa porte, j'entendais parfois de la musique classique ou sa télévision. Il était abonné au LA Times et lorsqu'un être mal intentionné s'est mis à lui voler son journal, je l'ai senti désemparé.

La dernière fois que je l'ai vu, il y a de cela deux mois, j'ai remarqué que son pas était moins sûr, plus lent. Et puis voilà, je suis repartie en France pour deux mois.

La veille de mon retour, mon mari m'a appris son décès. J'ai eu un pincement au cœur. Mon mari a croisé son cadavre escorté par la police alors qu'il rentrait de tournage. L'avant-veille, il était allé l'aider à déplacer son canapé.

Alors que je rentrai de l'aéroport, mon regard s'est posé sur sa porte, sentant que dernière il ne restait qu'un grand vide.

A ma grande surprise, j'appris que Melvin, puisque tel était son nom, avait trois enfants. Un vrai choc. Comment imaginer une tel solitude chez un père de trois enfants ?

Le lendemain, je passai devant sa porte pour aller nager. La porte était ouverte. Devant, un caddie et un diable. Je ne vis personne à l'intérieur.

Alors que je faisais le chemin inverse, je vis qui se chargeait de vider son appartement; la femme de ménage de l'immeuble et l'homme qui fait toutes les petites réparations de la résidence. Même là, ses enfants ne s'étaient pas déplacés. Un frisson me parcourut.

Combien sont-ils à survivre ainsi ? Car, ce n'est plus vivre que d'être ainsi abandonné de ses enfants, seul, désespérément seul, sans ami. Il était petit et discret. Il passait à pas feutrés dans les couloirs. Nous, ses voisins, nous contentions de le saluer, de prendre de ses nouvelles comme on le fait toujours, par courtoisie polie. Jamais nous n'aurions eu l'idée de l'inviter, jamais je ne lui ai proposé de lui faire une course. Jamais je n'ai pris le temps de m'interroger sur qui il était.

Et voilà, Melvin est parti. Il s'est tiré une balle dans la tête.

2 commentaires:

  1. Très bien écrit et bouleversant.
    Bisous,
    Chantal

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  2. C'est très touchant!
    Et ça me fait penser que l'autre jour j'ai vu mon voisin d'en face à sa fenêtre....c'est la première fois que je le vois et ça fait plus de 5 ans que je vis ici....comme quoi!!!!

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